Madame X – John Singer Sargent

Lorsque Sargent demande à faire le portrait de Virginie Gautreau, il entend bien profiter de la réputation d’icone de la mode de cette femme de banquier, originaire de Louisiane, dont la presse commente les moindres faits et gestes et décortique les looks, de la tenue au maquillage. Il faut dire que ses rituels de beauté sont pour le moins originaux : cheveux teints au henné, poudre bleu lavande sur le visage et poudre rouge sur les oreilles…

Lorsque Virginie Gautreau accepte que Sargent, peintre très en vue de la haute société, exécute son portrait, elle entend bien asseoir sa réputation de Parisienne, elle que l’on persifle encore pour ses origines. 

Mais parfois, rien ne se passe comme prévu…

Sargent met des mois pour réaliser ce tableau, jamais il n’aura fait autant d’essais pour un portrait, faisant poser son modèle dans toutes les tenues, dans toutes les positions…

Finalement, il opte pour cette pose à la fois majestueuse et provocante : sur un fond noir à la Velasquez, l’un des peintres préférés de Sargent, debout, de profil, Madame Gautreau ne daigne nous regarder et nous donne à admirer la finesse de ses traits. Sa main est en torsion sur une table, dans un geste aussi autoritaire que sensuel. Le bijou en forme de lune qui orne son front, symbole de la déesse Diane, renforce son attitude hiératique. Sa robe bustier noire, dont une bretelle rehaussée de brillants tombe sur son épaule, nous laisse deviner avec insolence qu’elle ne porte rien dessous. 

Au Salon de 1884, la toile intitulée « Portrait de Madame*** », pour préserver bien hypocritement l’anonymat de son modèle, fait scandale ! Les gens sont choqués par la pâleur de sa peau, ses tons bleu lavande lui donnent une apparence maladive, voire cadavérique. Et cette robe qui semble sur le point de tomber et de la laisser nue à tout moment : quelle indécence !

La mère de Virginie se rend à l’atelier du peintre, en pleurs : ce tableau est en train de ruiner la réputation de sa fille, il faut le retirer du Salon ! Sargent refuse.

Quelques jours après le Salon, il retouche le tableau, remontant la bretelle sur l’épaule de son modèle. Mais le scandale est tel que Sargent est contraint de s’exiler à Londres. Il conservera longtemps cette toile dans le secret de son atelier avant de le vendre au Metropolitan Museum of Art de New-York, revendiquant alors que c’est ce qu’il avait fait de mieux…

Quant à Madame X, elle semble avoir pris goût au scandale… Elle commande à Gustave Courtois un portrait révélant son autre profil, où la robe claire et vaporeuse dévoile son décolleté pâle tandis qu’une bretelle tombe sur son autre épaule… Son sourire est sans ambiguïté : Madame Gautreau se moque bien du qu’en dira-t-on !

Où voir l’oeuvre : Metropolitan Museum of Art de New-York et au musée d’Orsay dans le cadre de l’exposition « Sargent. Eblouir Paris » jusqu’au 11 janvier 2026.

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