Ophelia – John Everett Millais

Dans le royaume du Danemark, la belle Ophélie est fiancée à Hamlet mais, obsédé par la vengeance de la mort de son père, celui-ci la repousse et tue par accident le père de sa bien-aimée. Le suicide d’Ophélie, Shakespeare ne le montre pas sur scène, c’est la reine Gertrude qui en fait le récit. La peinture ici comble un manque, donne à voir ce que le théâtre nous cachait. 

Millais n’a que 22 ans lorsqu’il peint ce tableau. Il est chez son ami Hunt, avec lequel il a créé la confrérie des Préraphaélites. Près de sa ferme de Old Malden, dans le Surrey, il s’installe pendant 5 mois sur les bords de la rivière, avec son chevalet et ses tubes de peinture, invention révolutionnaire du XIXe siècle qui permet aux peintres de travailler en extérieur. Mais les insectes, la pluie, le vent et même les cygnes qui l’attaquent rendent la tâche ardue. Qu’importe, en 5 mois, la nature a changé et c’est ce qui permet à l’artiste de nous révéler une végétation luxuriante où se côtoient des fleurs nombreuses et variées qui s’épanouissent à des saisons différentes. Un trésor pour les botanistes comme le rapporte le fils de Millais  : un professeur de botanique qui ne pouvait amener ses élèves à la campagne aurait pris la toile comme support d’étude.

A l’époque victorienne, on s’intéresse au langage des fleurs et les plantes représentéss par Millais sont soit évoquées dans la pièce de Shakespeare, soit choisies pour leur portée symbolique. Ainsi, les violettes autour du cou d’Ophélie représentent la fidélité, les marguerites blanches près de sa main l’innocence, les orties la douleur, les roses la jeunesse et l’amour, les myosotis , si bien nommés en anglais forget-me-not, nous invitent à nous souvenir de la douleur d’Ophélie. Quant au saule pleureur, il symbolise l’amour abandonné. Même l’oiseau, un rouge-gorge, est symbolique : avec sa poitrine rouge, couleur du martyre, son coeur semble saigner…

Et si la nature nous semble si lumineuse, c’est que les Préraphaélites utilisent la même technique que les peintres de la Renaissance : ils couvrent la toile de peinture blanche et y apposent les autres couleurs avant qu’elle ne sèche.

Millais termine ensuite sa toile en atelier. Pour Ophélie, il fait poser Elizabeth Sidall, une belle et grande rousse au teint diaphane, qui deviendra le modèle favori des Préraphaélites… jusqu’à ce que l’un d’entre eux, Rossetti, l’épouse et en fasse son modèle exclusif ! Mais Elizabeth n’était pas seulement modèle, elle était aussi peintre et poétesse.

Il la fait poser dans une robe blanche brodée de fils d’argent semblable à celle du tableau. Elle reste des heures allongée dans une baignoire chauffée par en-dessous par des lampes à huile mais le peintre, absorbé par son travail, oublie le temps qui passe, laisse les lampes s’éteindre et c’est souvent dans une baignoire d’eau glacée que pose pendant 4 mois Elizabeth. Aussi contracte-t-elle une pneumonie. Son père, furieux, veut traduire le peintre en justice mais ce dernier accepte de payer tous les frais médicaux.

Où voir l’oeuvre : Tate Britain de Londres.

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