La pâtisserie Gloppe – Jean Béraud

Jean Béraud est le peintre du Paris de la Belle-Époque : il en a immortalisé les rues, les monuments, les petits métiers et les grandes gens. Son œuvre constitue ainsi un précieux témoignage historique et sociologique. Et cet artiste que l’on a un peu oublié au profit des impressionnistes est pourtant le fondateur de la Société des Beaux-Arts.

La pâtisserie Gloppe représentée sur ce tableau est un lieu très chic situé au 6 de l’avenue des Champs-Elysées, ce que l’on appellerait aujourd’hui un salon de thé. 

Les hauts plafonds, les grands miroirs au mur, l’or des moulures, des lustres, jusqu’au pourtour des assiettes, tout contribue à donner l’idée du luxe. L’élégance des tenues montre que cet endroit est en effet réservé à une clientèle choisie. Observez à gauche l’homme en haut de forme, avec sa canne au pommeau d’argent. Les femmes sont toutes en chapeau, la taille corsetée, dans des robes à tournures sous lesquelles un coussin matelassé accentue la cambrure et donne du relief aux fesses. Certaines ont même gardé leurs gants pour déguster les pâtisseries.

C’est un lieu dédié au plaisir des sens : ici, un garçon désigne la pâtisserie choisie après qu’il les a sans doute toutes dévorées de regard ; à gauche, une femme saisit délicatement la pâtisserie avec ses doigts. Les deux femmes attablées à droite s’apprêtent à accompagner leur pâtisserie d’un verre de vin qu’on leur verse. Elles sourient en portant l’objet de leur désir à la bouche. On voit même luire la blancheur de leurs dents…pas encore gâtées pas le sucre.

Plus qu’une simple scène de genre, le tableau rappelle qu’à la Belle-Époque le sucre est de plus en plus présent et convoité. Il provient désormais le plus souvent de la betterave, et non plus de la canne à sucre : sa production augmente et il se démocratise.

Avez-vous remarqué que la clientèle n’était composée que de femmes, d’enfants et d’un vieux monsieur ? Mais où sont les hommes ? La gourmandise serait-elle à l’instar de la curiosité un défaut essentiellement féminin ? En réalité, il existe une hiérarchie dans la nourriture : les mets salés sont mieux considérés que les mets sucrés et certains pensent même que les femmes et les enfants n’ont pas le palais assez fin pour apprécier à leur juste valeur les plats salés ! La femme que je suis ne s’offusquera pas d’un tel sexisme et je veux bien que ces messieurs me réservent leurs pâtisseries !

J’ai piqué votre curiosité et aiguisé votre appétit ? Inutile pourtant de la chercher, la pâtisserie Gloppe a fermé en 1915 ! 

Laisser un commentaire