Judith décapitant Holopherne – Artemisia Gentileschi

Ce tableau du XVIIe siècle représente une scène biblique : dans l’Ancien Testament, le roi d’Assyrie charge le général Holopherne d’attaquer la ville juive de Béthulie. Judith, une jeune et belle veuve, séduit le général, sa fait inviter chez lui, l’enivre et le décapite, sauvant ainsi sa ville. Il s’agit là d’un sujet classique de la peinture.

Mais derrière cette toile, c’est une tout autre histoire qui se joue. En effet, Judith, en robe bleue, a les traits d’Artemisia Gentileschi elle-même. Dans une version réalisée 10 ans plus tard, tant le thème l’obsède, elle porte même un bracelet à l’effigie de la déesse… Artémis. Mais pourquoi l’artiste italienne s’est-elle représentée dans une scène aussi violente, endossant sans sourciller le rôle de la meurtrière ? 

Au moment où elle peint ce tableau, Artemisia sort d’un éprouvant procès. Alors qu’elle n’est âgée que de 17 ans, le professeur particulier de dessin, Agostino Tassi, choisi par son père, lui-même peintre, l’a violée, lui promettant le mariage pour la réduire au silence. Problème : il n’honore pas sa promesse. Et pour cause : il est déjà marié ! Le père d’Artemisia le traîne alors en justice. Mais c’est la jeune femme qu’on examine et qu’on torture… pour s’assurer de la véracité de ses accusations ! Tassi est condamné à l’exil mais, protégé, il échappera à la condamnation.

Dès lors, il faut à Artemisia un exutoire. Et c’est dans ce tableau qu’elle balance son porc ! Elle endosse le rôle de Judith et donne à Holopherne les traits de son violeur. Regardez comme elle retourne l’agression : c’est Tassi qui est allongé sur le lit, à demi nu, soumis à la violence féminine. Et Artemisia, tout en empoignant ses cheveux, lui enfonce une épée phallique dans la gorge. Les draps sont tachés de sang, symbole de sa virginité perdue. Les yeux révulsés de l’homme semblent implorer notre secours…en vain. 

Le choix d’une peinture d’histoire quand ses consoeurs sont cantonnées à la nature morte et au portrait est audacieux ! Et le succès de l’artiste est immédiat. C’est une double revanche pour celle qui ne put suivre l’enseignement des Beaux-Arts parce qu’elle était une femme et qui fut donc forcée d’avoir un professeur particulier… bien mal choisi. À 23 ans, elle devient la première femme à entrer à la prestigieuse Académie de dessin de Florence créée un siècle plus tôt par Léonard de Vinci.

Ce tableau, par la position des personnages et par son clair-obscur, n’est pas sans rappeler une toile du Caravage qui a peint également cet épisode biblique et dont Artémisia s’est sans doute inspirée. D’ailleurs, quand Artemisia, comme bon nombre de femmes artistes, tombe dans l’oubli, le tableau lui sera attribué !

Cette publication a un commentaire

  1. Thet Motou

    Quelle histoire incroyable ! Merci !

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