Le tricheur à l’as de carreau – Georges de La Tour

Ouh ! Ce n’est pas beau de tricher ! Et pourtant le sujet est à la mode dans les tableaux du XVIe et du XVIIe siècle. Pourquoi un tel intérêt ?

D’abord parce que si le spectateur voit la triche, il devient le complice des tricheurs. 

Comme un texte, un tableau se lit de gauche à droite : la première chose que voit le spectateur, c’est donc bien la main de l’homme au premier plan qui, dans son dos, tire un as de carreau de sa ceinture. L’ombre projetée sur son visage renforce l’idée de dissimulation.

Observez les personnages sur le tableau de Georges de La Tour : la victime, à droite du tableau, est bien isolée par rapport aux trois personnages, physiquement proches, qui se sont ligués contre lui. Les jeux de regards renforcent la collusion des tricheurs. La femme, au centre, tourne le regard vers la servante, dont l’oeil est dirigé vers l’homme qui triche, qui lui-même coule son regard vers le spectateur avec un petit sourire complice…

Le spectateur assiste ici à une partie de jeu de la prime, l’ancêtre du poker. Le spectateur du XVIIe siècle connaît bien ce jeu et le reconnaît tout de suite aux cartes que le peintre lui donne à voir. L’une des meilleures mains que l’on puisse avoir est composée du 6, du 7, que le tricheur tient justement en main, et…de l’as qu’il s’apprête à sortir. A la manière dont la femme au centre et le tricheur tiennent les cartes, on voit qu’ils ont l’habitude de les manipuler, la femme sait dissimuler son jeu aux regards indiscrets en le tenant près de son buste. En revanche, le jeune homme à droite tient ses cartes à deux mains et sa concentration indique qu’il peine à savoir ce qu’il doit jouer.

Au XVIIe siècle, la visée d’un tel tableau est morale. Il s’agit de mettre en garde les jeunes gens de bonne famille contre les ravages du jeu, qui endette la famille entière. Le problème est tel dans la société d’alors que les joueurs sont menacés d’excommunication. Sont dénoncés ici trois grands vices : le jeu donc, mais aussi l’alcool avec le verre de vin que tend la servante et la luxure. En effet, la femme au centre est sans doute une courtisane, comme en témoignent son décolleté et les perles qu’elle porte à son cou et à ses oreilles, symboles d’une vie dissolue. Son rôle fut sans doute d’attirer par ses charmes le jeune homme afin qu’il joue et qu’il se fasse plumer par ses complices. C’est bien le sens de la plume extravagante que le jeune homme porte à son chapeau. Il est riche, comme le suggère son riche costume et les pièces nombreuses posées devant lui… mais cela ne va pas durer.

Enfin, en choisissant le motif de la triche, le peintre ne nous parle-t-il pas de son art ? Celui que l’on classera plus tard parmi « les peintres de la réalité » n’use-til pas d’artifices trompeurs pour nous faire croire à la réalité ? Ainsi le clair-obscur qui crée l’illusion de la lumière donne du réalisme au tableau mais guide aussi notre regard sur ce que l’artiste veut bien nous faire voir. Ici, le fond noir est tout à fait artificiel et n’a pour but que de souligner les silhouettes des personnages. Ce n’est sans doute pas un hasard si la signature de Georges de La Tour est dissimulée… sous le coude du tricheur…

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