L’escamoteur – Jérôme Bosch

Approchez, approchez, braves gens, et apprêtez-vous à assister à un spectacle qui requiert toute votre attention !

Un bateleur est arrivé en ville. C’est un forain, un homme étranger à la ville, et le mur derrière les personnages le rappelle. Le bon bourgeois s’en méfie et en est curieux à la fois. Son chapeau haut de forme évoque déjà celui des magiciens, à moins qu’il ne rassure le bourgeois (souvenez-vous l’époux Arnolfini de Van Eyck avait le même !). 

Il a déployé ses tréteaux pour nous jouer un tour d’escamotage. Devant lui, des godets, des muscades, ces petites boules utilisées dans les tours de passe-passe, et une baguette (magique ?). Comme au bonneteau, l’escamoteur propose, pour de l’argent, de deviner sous quel godet est cachée la muscade et trompe notre regard par la rapidité et l’habileté de ses gestes.

Le bateleur a plus d’un tour dans son sac : regardez l’intérieur de son petit panier. C’est une chouette, symbole de la sagesse dans l’Antiquité, mais animal plus inquiétant au Moyen-Âge. Associée à la nuit, elle voit quand nous ne voyons pas. Et ce n’est pas tout, un chien attend, déguisé en fou du roi. Tout à l’heure, vous verrez, bonnes gens, il sautera dans le cerceau posé contre les tréteaux.

Mais en attendant, observez la table. La disposition des objets y évoque un visage, la muscade sur le godet blanc un œil, la pupille de l’autre godet est dans les mains de l’escamoteur qui, à n’en pas douter, manipule notre regard.

Et les badauds sont nombreux, attitrés par le spectacle. L’un d’eux penchés au-dessus des tréteaux est comme médusé, une grenouille au bord des lèvres, une autre déjà sortie, sur la table. Au Moyen-Âge, les grenouilles renvoient au mensonge et au mal. Dans l’Apocalypse de Saint-Jean, des grenouilles s’échappent de la bouche du faux prophète. 

Mais le tour n’est pas seulement du côté de l’escamoteur, il est aussi du côté du public. Regardez l’homme derrière le personnage penché. Tout en levant innocemment les yeux au ciel, il est en train de lui voler sa bourse, profitant du fait que tous les regards se fixent sur le tour de passe-passe.

Tous les regards ? Pas tout à fait. Un enfant observe le badaud penché sur la table. Ses yeux plissés sont-ils interrogateurs ou rieurs, comme le suggère le léger sourire qui se dessine sur ses lèvres ? A-t-il compris, lui l’enfant censé être naïf, que le badaud à ses côtés est en train de se faire duper ? Et puis, regardez à droite du voleur, un homme d’un geste discret semble designer le voleur à la femme à côté de lui… mais elle paraît peu intéressée. Quand des personnages regardent le bateleur, d’autres regardent le ciel, préférant Dieu à ses amusements profanes. La religieuse jette, quant à elle un regard courroucé, au bateleur, rappelant que l’Eglise condamne les jeux d’argent.

Profitez de ce tableau car il est la plupart du temps dérobé à nos regards, enfermé dans un coffre du musée municipal de Saint-Germain-en-Laye. Il s’agit en effet de le protéger depuis qu’il y a été volé en décembre 1978 par un commando armé, composé notamment de Jean-Marc Rouillan, qui participera peu de temps après au commando Action Directe.

« L’escamoteur escamoté » titrera alors un journal…

Mais la toile elle-même ne trompe-t-elle pas nos yeux depuis toujours ? Attribuée au peintre flamand Jérôme Bosch, il se pourrait qu’elle soit en réalité l’œuvre de Gielis Panhedel, un peintre qui travaillait dans l’atelier de Bosch.

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