
Notre œil occidental est habitué à voir de belles femmes nues dans l’art, des Vénus callypiges et autres Olympia alanguies… Il est parfois tellement blasé qu’il pourrait passer à côté de ce qui rend cette Vénus extraordinaire.
D’abord, ce corps nu, il est unique dans l’œuvre de Velázquez. A une époque où l’Inquisition fait rage en Espagne, impossible pour lui ni pour personne de peindre un tel sujet. Sans doute influencé par son voyage en Italie, profitant de la protection de la Cour espagnole où il est portraitiste, il s’offre, il nous offre, une agréable récréation. Un portrait qui se dérobe à nos yeux trop curieux. Vénus est de dos, séduisant aperçu, qui nous donne envie d’en voir davantage. Nous n’apercevons l’autre côté que par le reflet de son visage dans un miroir mais, comme pour accentuer notre frustration , ce reflet est flou. Velázquez, quelques années plus tard, exploitera à nouveau, de manière différente, les infinies possibilités du motif du miroir dans « Les Ménines ».
C’est Cupidon qui tend à Vénus le miroir, un Cupidon désarmé, sans flèches ni carquois. Les liens roses à ses poignets sont détachés, en signe de soumission volontaire. L’amour a capitulé devant la beauté. Dans un subtil jeu de regards, Cupidon admire le reflet de Vénus dans le miroir, Vénus se regarde elle-même et nous, comme Cupidon, nous cherchons désespérément à saisir ce regard qui ne nous est pas destiné.
Mais cette Vénus, c’est aussi une Vénus blessée. En 1914, à la National Gallery de Londres, elle est victime de plusieurs coups de hachoir de boucher, le premier porté à la base du cou, entre ses deux épaules, des coups qui lacèrent son corps, pourtant protégé par une vitre qui a volé en éclats. Son agresseur ? La suffragette Mary Richardson, qui lutte pour le droit de vote des femmes. En frappant la Vénus, elle crie « A la plus belle des femmes ! « . Plus tard, elle explique ce geste fou : elle s’en est pris à la plus belle des femmes pour son physique pour venger la plus belle moralement, Emmeline Pankhurst, à la tête des suffragettes, que la Couronne laisse souffrir dans une terrible grève de la faim. 40 ans plus tard, lorsque les combats féministes auront changé, Mary Richardson dira qu’elle ne supportait pas les regards concupiscents que les hommes portaient à longueur de journée sur le corps de Vénus.
Aujourd’hui, grâce au travail des restaurateurs, Vénus s’est remise de ses blessures. Si vous passez par la National Gallery, plongez votre regard dans son miroir, vous y croiserez peut-être le sien…
