
Pour cette toile, Turner s’inspire d’un épisode de la première guerre punique. Régulus, général romain, a été capturé par les Carthaginois qui le renvoient à Rome pour négocier la fin des combats et la libération de prisonniers carthaginois. Mais attention, s’il échoue, il devra revenir à Carthage pour y être sévèrement puni.
Régulus n’a qu’une parole : il échoue dans sa mission et revient se constituer prisonnier. Son châtiment est terrible : les Carthaginois lui cousent les paupières et l’obligent à regarder le soleil.
Mais où est Régulus sur ce tableau, me direz-vous, scrutant la toile avec perplexité ? Eh oui, parce qu’observer une œuvre de Turner, c’est toujours un peu se demander où est Charly… Les personnages sont nombreux et minuscules, perdus dans l’immensité du paysage.
Allez, arrêtez de vous abîmer les yeux ! Régulus, c’est vous. Face à vous, le soleil jaune vire au blanc, se développe en cercles qui enveloppent le paysage, font disparaitre l’horizon. Vous êtes poches de l’aveuglement…
D’ailleurs, à la fin de la vie de l’artiste, les formes s’effaceront de ses tableaux au profit de la lumière et de la couleur, préfigurant l’abstraction.
Ici, la puissance du soleil est telle que Turner délaisse le jaune, sa couleur fétiche, raillée par les critiques qui fustigent ce qu’ils nomment son ‘curry », son « jaune moutarde » et qui accusent le peintre d »être atteint de « fièvre jaune » ou d’être devenu fou en raison du contact excessif avec les substances nocives contenues dans sa peinture jaune. Il existe même un « jaune Turner » mais, si on l’associe au peintre, ce pigment n’a pourtant aucun lien avec lui : il porte de nom car il a été créé par un certain James Turner en 1781.
« Sun is God », « le soleil, c’est Dieu » aurait déclaré Turner sur son lit de mort. Il y a dans les tableaux du peintre anglais une métaphysique qui transcende la simple représentation du paysage.
Où voir l’œuvre : Tate Britain, Londres.
