Degas choisit pour sujet une boisson très prisée en cette fin de XIXe siècle : l’absinthe. C’est d’ailleurs souvent ainsi que l’on renomme le tableau.
Regardez la couleur verte du verre, elle est caractéristique de ce breuvage. Cet alcool, à base d’artemisia, d’anis et de menthe, était si fort qu’il pouvait provoquer des crises d’épilepsie. L’artemisia contient en effet de la thuyone, une molécule neurotoxique qui entraîne des convulsions, mais surtout l’absinthe est un alcool à 70° voire plus ! Ce serait l’écrivain Oscar Wilde qui lui aurait donné le surnom de « fée verte » car en la consommant on pouvait voir apparaitre des génies ! Ses effets sont tellement puissants que l’absinthe est interdite en 1915… avant de revenir sous une forme modifiée en 2011.
Degas met en scène ici les effets dévastateurs de cet alcool. Observez le visage triste et fermé de la femme derrière le verre. Elle semble ignorer totalement la présence de l’homme à sa droite…et réciproquement, celui-ci détournant la tête. On est bien loin de l’alcool festif qui réchauffe les cœurs et rapproche les gens !
Dans ce qui semble être un miroir derrière eux, ce ne sont pas les reflets des personnages que l’on voit mais leur ombre, qui préfigure peut-être ce que l’absinthe fera d’eux…
La composition du tableau est décentrée, les personnages sont au fond à droite, comme si la toile elle-même chavirait sous l’effet de l’alcool.
Zola dira plus tard s’être inspiré de la peinture de Degas pour ses romans. On pense ici bien sûr à « L’Assommoir ». Dans le café qui donne son nom au livre, le couple constitué par Gervaise et Coupeau sombre dans une lente déchéance due à l’alcoolisme.
Avez-vous remarqué que les tables n’avaient pas de pied ? Les plateaux semblent en lévitation ! Degas lui-même avait-il abusé de la Fée verte avant de peindre son tableau ?
Le tableau représenterait le café de « La Nouvelle Athènes », place Pigalle, où aimaient se réunir les artistes de l’époque, notamment les Impressionnistes. Degas a demandé à deux artistes de ses amis de poser : la comédienne Ellen Andrée et le peintre et graveur Marcellin Desboutin. Degas devra d’ailleurs préciser ensuite publiquement qu’ils n’étaient pas alcooliques afin de ne pas nuire à leur réputation !
Avez-vous repéré la place originale de la signature de l’artiste ? Il signe en bas à gauche, sur le journal déposé sur la table. On n’a pas fini de parler de lui !