Etant donnés – Marcel Duchamp

C’est dans son atelier new-yorkais que Marcel Duchamp a travaillé pendant 20 ans, de 1946 à 1966, sur cette installation qu’il veut testamentaire. Et elle sera en effet exposée de manière permanente, un an après sa mort, au Philadelphia Museum of Art, conformément aux vœux de l’artiste. 

Sur un mur, une porte en bois à deux battants encadrée par des briques. La porte vient de Cadaqués où Duchamp l’a élaborée à l’aide de Dali.

Sur la porte, deux trous… Car ce qu’il y a à voir se trouve derrière la porte. Avec cette œuvre, Duchamp nous invite en effet à nous faire voyeur… Mais quel secret se cache donc au-delà de cette porte ? Approchez-vous et placez vos yeux contre les trous.

Au premier plan, vous apercevez d’abord un mur de briques sombre, éventré. Dans le trou du mur, la blancheur d’un corps féminin vous surprend. Allongé et nu, offert au milieu des herbes folles, ce corps dont on ne voit pas le visage n’est pas sans rappeler « L’origine du monde » de Courbet, les poils pubiens en moins. Marcel Duchamp avait vu ce tableau chez le psychanalyste Lacan qui le gardait dissimulé sous un autre tableau peint par son beau-frère André Masson et le dévoilait à de rares privilégiés.

Le moulage du corps a été réalisé sur celui de la sculptrice brésilienne Maria Martins dont Duchamp était fou amoureux. 

La femme est-elle endormie ? Morte ? Le spectateur est-il sur une scène de crime ? De viol ? A-t-il surpris une scène d’amour ? La vision ouvre le champ des possibles. Surtout, elle provoque chez le spectateur un certain malaise…

D’autant qu’au bout de son bras, la femme tient l’ultime ready-made de Duchamp, un bec de gaz.

D’ailleurs le nom complet de l’installation est « Étant donnés : 1° la chute d’eau 2 ° le gaz », clin d’œil aux petites plaques sur les immeubles parisiens qui précisaient dans un poétique octosyllabe  » eau et gaz à tous les étages ».

La chute d’eau, quant à elle, se trouve dans le paysage en arrière-plan, un paysage naturel réalisé au moyen de photographies que l’artiste a prises en Suisse, recolorisées avec l’aide de Dali et éclairées par l’arrière à la manière d’un diorama. Le ciel bleu est en carton, les nuages en coton.

Marcel Duchamp a élaboré un cahier des charges très précis de 70 polaroïds, afin que son installation puisse être démontée et remontée au musée de Philadelphie après sa mort. Il avait également exigé que l’on ne prenne aucune photographie de son œuvre pendant 15 ans. L’expérience visuelle directe était primordiale et, plus que jamais, l’oeuvre n’existe ici que par les yeux du spectateur. 

Aussi ai-je choisi de ne pas montrer ce qu’il y a derrière la porte, de laisser libre cours à votre imagination… Si le pouvoir de mes mots n’est pas suffisamment évocateur ou si vous préférez, tel Saint Thomas, voir de vos yeux, vous pouvez découvrir au centre Georges Pompidou une peinture d’André Raffray intitulée « Étant donné » qui représente ce qui se cache derrière cette porte.

Cet article a 2 commentaires

  1. Cothenet

    Merci beaucoup !
    Je n’avais jamais entendu parler de cette œuvre et cela donne envie d’aller à Philadelphie !
    Bonne continuation !
    Eric

  2. Olivier

    Fascinant ! Merci. J’approuve le fait que vous ayez respecté la volonté du peintre de ne pas dévoilé le mystère de cette œuvre. Cela lui donne plus de force encore.

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