Les surréalistes appréciaient beaucoup la peinture de Frida Kahlo.
Dans « La colonne brisée », par un jeu d’association d’idées qu’affectionnent les surréalistes, la colonne vertébrale de la femme est remplacée par une colonne ionique qui présente, à plusieurs endroits, des fêlures. Elle peine à soutenir la triste vestale dont la robe immaculée flotte sur les jambes. Des larmes coulent sur les joues de la femme, douleur et humiliation des clous plantés sur cette nouvelle figure christique, dont le drapé se fait suaire. A l’arrière-plan, le ciel est bleu sur un paysage aride, comme les plages espagnoles des tableaux de Dali.
Mais Frida Kahlo n’aime pas le surréalisme. Car ce qu’elle représente n’est pas le fruit de son imagination : c’est sa douleur, ô combien réelle qu’elle dépeint. A l’âge de 18 ans, la jeune fille, qui se destine à faire des études de médecine, est victime d’un accident de bus. Une barre de fer traverse le corps de Frida, de la cavité pelvienne jusqu’à l’abdomen. Commence alors un long calvaire qui durera toute sa vie ou presque : les opérations alternent avec les moments où elle doit rester alitée. Ses parents font accrocher un miroir au-dessus de son lit. Naîtra ainsi sans doute son goût pour l’autoportrait : elle en réalise 55 sur un total de 150 tableaux.
Et c’est bien elle sur ce tableau. Le corset en plâtre, qu’elle a tant porté, enserre son corps et l’empêche de se séparer en deux.
Et pourtant, derrière les larmes, regardez la force et la détermination de son regard qui nous fixe. Son corps, figé dans une pose hiératique, est magnifique. Par ses rondeurs, sa fermeté et ses couleurs, il respire la santé, il inspire le désir.
Les clous, c’est la douleur mais c’est aussi la réparation. Désormais, entre force et fragilité, Frida est prête à vivre, à aimer.
Mais à la souffrance physique s’ajoute la souffrance psychologique. Mariée au peintre Diego Riviera, elle multiplie les fausses couches que symbolise peut-être ce paysage aride. Et surtout, elle endure la trahison : c’est avec sa propre sœur que son mari nouera une liaison…