La femme à barbe – José de Ribera

A la manière du Caravage qu’il a sans doute croisé en Italie, José de Ribera, peintre du XVIIe siècle, le Siècle d’Or espagnol, aime représenter les humbles, les martyrs, les marginaux. Sous son pinceau, la misère se charge d’une force et d’une dignité qui sans se departir de son réalisme confine au sublime religieux.

Ici, c’est presque une sainte famille  : le père, la mère, l’enfant qu’on allaite, leur histoire gravée à droite sur des tables de pierre. Témoignage et testament.

Mais la mère est étrange et même monstrueuse.  L’histoire inscrite à ses côtés nous explique qui elle est Magdalena Ventura, Italienne, 

52 ans, à qui des poils ont poussé à l’âge de 37 ans après la naissance de son troisième enfant. Ce dérèglement hormonal, quoique rare, est connu :  c’est l’hypertrichose. 

Le tableau est une commande du vice-roi de Naples, le duc d’Alcalá Fernando Afán de Rivera y Enríquez pour lequel travaille le peintre. Il aime à collectionner les curiosités de la nature et possède notamment de nombreux portraits de nains. La différence physique fascine. Et comme le précise l’inscription latine « En magnum natura miraculum », cette femme à barbe est « un grand miracle de la nature ». 

Avez-vous remarqué le coquillage posé sur la pierre ? C’est un symbole de l’hermaphrodisme mais on le trouvait dans nombre de cabinets de curiosités.

De cette fascination née des cabinets de curiosités où l’on répertorie autant qu’on cherche à comprendre les bizarreries de la nature à la curiosité malsaine des « freak shows » des cirques américains du XIXe siècle, il n’y aura qu’un pas bientôt franchi pour ces femmes à barbe !

Pourtant observez bien cette femme. Ce qui suscite le malaise, ce n’est pas tant qu’elle ait une  barbe, ce sont les traits masculins de son visage, et même ce sein outrageusement gonflé et maladroitement situé sur le torse de la mère. Le visage ridé et résigné ne traduit rien de la tendresse maternelle. Comparez aussi la barbe de son mari et la sienne : celle de son mari est bien taillée, à la mode de l’époque, alors que la sienne semble laissée au naturel, presque sauvage.

Depuis le Moyen-Âge et ses loups-garous, l’homme poilu intrigue et fait peur. Le poil est lié à l’animal, à la sauvagerie. Pourtant, l’humilité , la dignité et la souffrance confèrent à ce couple une humanité qui impose immédiatement le respect.

La femme nous regarde autant qu’on la regarde, nous renvoyant notre curiosité comme un miroir. 

Si le monstre est celui qui par sa différence mérite d’être montré, pour Ribera, c’est l’humanité dans tous ses aspects qui mérite notre attention. Dans un clair-obscur caravagesque, il la sort de l’ombre pour la mettre sous la lumière.

Où voir l’œuvre : Musée de l’hôpital de Tavera, Tolède

Cette publication a un commentaire

  1. Castera

    Merci pour tous vos commentaires tellement inter ! Merci pour tous vos comment ?

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