Les portraits de cet artiste d’origine italienne sont aisément reconnaissables par leurs silhouettes, longilignes, leurs corps et visages de forme ovale et leurs regards étrangement vides.
« La femme aux yeux bleus », tableau peint en 1918, ne fait pas exception. Les dimensions de la toile, 81 cm x 54 cm, allongent le corps du modèle dont le manteau noir accentue encore la minceur. Les cheveux et le vêtement noirs contrastent avec le bleu des yeux et des lambris d’un mur qui constituent un sobre décor. Modigliani joue avec les couleurs complémentaires, pour les mettre en valeur, juxtaposant ce bleu avec une carnation qui tire sur l’orange.
Mais pourquoi ces formes allongées qui nuisent au réalisme du portrait ? Le tableau de Modigliani est le résultat de la fusion de multiples influences. Loin de l’avant-garde des peintres de Paris, ville où il s’installe en 1906, l’artiste, originaire de Livourne, s’inspire des peintres florentins de la Renaissance. Cette main qui ferme le manteau évoque celle de la Vénus pudica, qui tente de dissimuler sa nudité. Pensez à « La Naissance de Vénus » de Botticelli où Vénus cache bien imparfaitement ce sein que l’on ne saurait voir. Et ce cou, disproportionné, trop long ? C’est celui de la Madone au long cou de Parmigianino que Modigliani a pu admirer à la galerie des Offices de Florence.
Ce long visage aux traits simplifiés trouve son origine dans une autre influence : l’art africain. Modigliani, comme d’autres artistes de son époque, fréquente le musée d’ethnographie de Paris où il découvre les masques africains. Il s’en inspire d’abord dans ses sculptures. Mais Modigliani, qui souffre de tuberculose, est contraint de cesser la sculpture car les poussières nuisent à sa santé. Il reprend alors ces masques dans sa peinture. D’ailleurs les yeux dont le regard est absent ne sont-ils pas plutôt des trous, ceux qui figurent les yeux des masques ?
Le visage se fait alors troublant et nous sommes happés par ses yeux dans lesquels nous plongeons pour tenter en vain de saisir l’altérité de l’être qui nous fait face et dans lesquels nous risquons peut-être de nous perdre…
Où voir l’œuvre : Palais de Tokyo, Paris.