Admirez cette belle brune aux cheveux frisés, alanguie sur un divan, dans le moelleux des coussins. Sa robe blanche révèle son corps plus qu’elle ne le cache : elle dessine la lourdeur de ses seins, le galbe de ses jambes et même son pubis, une ombre velouté suggérant les poils pubiens de la belle. Une ceinture rose souligne la finesse de sa taille tandis qu’un boléro noir et or évoque son origine espagnole. Son regard est audacieusement planté dans celui du spectateur.
Mais plus que jamais il y a un secret derrière ce tableau. En effet, un mécanisme coulissant révèle un autre tableau caché derrière celui-ci. Il représente la même femme, dans la même position, sur le même divan…mais nue. C’est la « Maja desnuda ». (Voir le tableau en commentaire)
Ces deux toiles se trouvent dans le cabinet secret de Manuel Godoy, chef du gouvernement espagnol, qui les a commandées à Goya. A ses invités, il offre le divertissement coquin d’un strip-tease en dévoilant le tableau caché. C’est qu’en cette fin de XVIIIe siècle, les peintures de nu sont interdites en Espagne et ce tableau est le 2e nu de la peinture espagnole. Et c’est le premier nu qui révèle les poils pubiens d’une femme réelle, 70 avant « L’origine du monde » de Courbet.
Qui est cette femme aux joues rosies (par le plaisir ?) ? On a longtemps pensé qu’il s’agissait de la 13e duchesse d’Albe, maîtresse de Goya, avant d’y voir l’actrice Pepita Tudò, la maîtresse puis l’épouse de Manuel Godoy, qui offrait donc à des regards choisis l’objet de sa passion.
En 1808, Manuel Godoy est écarté violemment du pouvoir par une révolte et le roi Charles IV est chassé du trône. Quand le nouveau roi, Ferdinand VII, arrive sur le trône et découvre les collections de Godoy, il est outré par le tableau. Il remet en place un tribunal d’Inquisition et Goya risque le bûcher ! Mais il sera défendu par le cardinal Louis-Marie de Bourbon, qui n’est autre que le beau-frère de Godoy. Goya s’exile alors à Bordeaux.
Mais la Maja desnuda n’a pas fini de provoquer le scandale ! En 1930, elle devient le premier nu sur un timbre espagnol. Certains destinataires des lettres sur lesquelles elle figure, particulièrement aux Etats-Unis, sont choqués et renvoient aussitôt la lettre à l’expéditeur !
Les deux toiles seront longtemps tenues à l’abri des regards dans une salle de l’Académie royale de San Fernando avant d’être exposées, en 1901, au musée du Prado.