La raie – Jean Siméon Chardin

Au Louvre, il est un sourire énigmatique qui a presque autant de succès que celui de La Joconde, c’est celui de la raie de Chardin.
C’est avec un genre considéré pourtant comme mineur, celui de la nature morte, que Chardin, en 1728, réalise la prouesse de séduire l’Académie Royale qui l’intronise le jour-même ! Le tableau, immédiatement offert par le peintre à l’Académie Royale, sera donc l’un des premiers à entrer au Louvre, où il se trouve encore.
Cette toile a fasciné les artistes. Diderot la propose comme modèle à tous les peintres. Proust en fait une description savoureuse :
« Mais au-dessus de vous un monstre étrange, frais encore comme la mer où il ondoya, une raie est suspendue, dont la vue mêle au désir de la gourmandise le charme curieux du calme ou des tempêtes de la mer dont elle fut le formidable témoin. On […] sent déjà la fraîcheur des huîtres qui vont mouiller les pattes du chat et on entend déjà, au moment où l’entassement précaire de ces nacres fragiles fléchira sous le poids du chat, le petit cri de leur fêlure et le tonnerre de leur chute ».
Des peintres tels que Boudin ou Matisse en livreront leur propre version.
Pourquoi un tel succès ? D’abord, cette nature morte ne l’est pas tout à fait avec, à gauche de la raie, un chat, oreilles en arrière, queue dressée et poils hérissés. Et puis cette toile se signale par la force de sa construction : une composition pyramidale qui dispose symétriquement autour de la raie centrale des éléments du vivant à gauche, le chat, les huîtres et les poissons, et des objets, des ustensiles de cuisine, à droite. Le couteau posé, dans un équilibre précaire, sur le devant de la table, évoque les vanités, ces natures mortes qui rappellent aux hommes la fragilité de la vie sur terre.
Et cette raie, ce pâle fantôme éventré dont les yeux semblent nous regarder sans comprendre et la bouche hésiter entre le sourire triste du clown blanc et la grimace.
Certains ont même vu dans ce tableau un symbole de la crucifixion, une raie christique aux ailes écartées comme les membres de Jésus sur sa croix, une plaie au ventre… Il est vrai que le poisson est un symbole christique.

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