Le cauchemar – Johann Heinrich Füssli

Peu de tableaux suscitent l’effroi comme cette toile de Füssli. Une femme allongée dans un vêtement à la blancheur virginale qui lui colle au corps comme un linceul. Est-elle évanouie ? Morte ? Sur son ventre trône un gnome velu, les oreilles pointues. Accroupi, il regarde le spectateur, la tête posée sur la main, d’un air interrogateur. Son ombre s’allonge de manière inquiétante sur la tenture rouge sang de l’arrière-plan et entre les cuisses de la jeune femme. C’est un incube, un  démon qui couche avec les femmes pendant leur sommeil. Tremblez aussi, messieurs, il existe une version féminine de ce démon, le succube. A gauche, un cheval noir aux yeux globuleux et vitreux, comme s’il était aveugle, regarde pourtant la jeune femme.

Mais, précise le titre, tout cela n’est qu’un cauchemar. Celui du spectateur ? Celui de la jeune femme ? Le peintre montrerait alors en même temps la rêveuse et son rêve, projection de ses plus sombres angoisses… Incapable de bouger avec le démon qui pèse sur elle, la femme figure une victime de paralysie du sommeil. Même le cheval qui est probablement une jument est un clin d’oeil de l’artiste qui rappelle le titre de son œuvre dans un jeu de mot : la jument de la nuit, night mare en anglais, devient le symbole du cauchemar, nightmare.

Mais, d’après ce tableau, à quoi rêvent les jeunes filles ? Dans le folklore médiéval germanique, les incubes troublent le sommeil des jeunes filles par des rêves érotiques. La position de l’héroïne du tableau devient dès lors suggestive : le corps alangui, offert, s’abandonne même peut-être déjà à l’orgasme.

Et Freud ne s’y est pas trompé qui conservait dans son bureau une copie de ce tableau, représentation avant l’heure les pulsions du Ça…

Déjà fasciné, tout autant que troublé, par ce tableau, le public du XVIIIe siècle ignorait toutefois un détail… A l’arrière de la toile, Füssli avait représenté une jeune fille dont il était épris mais… dont il ne put jamais rien obtenir. Le tableau peut alors se lire comme la projection des fantasmes du peintre qui se rêve en démon, contraignant la jeune femme à se livrer à ses plus sombres désirs… Fantasmes obsessionnels s’il en est puisque Füssli a peint 12 versions de ce tableau.

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