Adam et Eve – Suzanne Valadon

Née de père inconnu, fille d’une blanchisseuse, Marie-Clémentine Valadon grandit dans l’effervescence et la liberté du quartier bohème de Montmartre. Elle commence une carrière dans le cirque avant de poser comme modèle pour des peintres tels que Puvis de Chavannes, Renoir ou encore Toulouse-Lautrec. 

C’est d’ailleurs ce dernier qui lui donnera son surnom : Suzanne. Comme le personnage biblique du Livre de Daniel que deux vieillards lubriques observent au bain. En effet , comme pour elle, le corps nu de la jeune modèle est soumis aux regards de vieillards concupiscents.

Si Suzanne est un modèle réputé, aucun des peintres qu’elle côtoie ne la soutient dans son désir de devenir elle-même artiste : la place d’une femme doit rester d’un seul côté du chevalet ! Seul Degas l’encourage, l’initiant même à certaines techniques. Mais c’est en autodidacte qu’elle se lance dans le dessin puis la peinture.

En 1909, elle s’attaque à un monument de l’art pictural : la représentation d’Adam et Ève dans le jardin d’Eden. Mais ce sujet biblique est avant tout l’occasion d’un autoportrait. Elle sera Ève et son amant, André Utter, sera Adam. Suzanne a 44 ans, est déjà une peintre connue et c’est sans complexe que, encore mariée, elle affiche sa liaison avec un homme de 21 ans son cadet, un jeune peintre amateur, ami de son fils Maurice Utrillo. Sur le tableau, elle se rajeunit, met en valeur sa flamboyante chevelure et s’exhibe avec son jeune amant dans un nu audacieux.

Car si les peintres hommes ont tout le loisir de représenter des femmes nues, l’inverse n’est pas vrai. Et lorsque Suzanne veut présenter son tableau au salon d’automne de 1920, elle est priée de rhabiller quelque peu Adam et se voit contrainte de lui ajouter une guirlande de feuilles de vigne.  

Ce tableau n’en témoigne pas moins de la liberté que prend l’artiste avec la représentation des corps, qui ne sont pas idéalisés, comme avec la représentation du sujet. En effet, elle inverse les positions d’Adam et Eve, Adam étant traditionnellement à gauche et Ève à droite. De plus, on ne lit aucune culpabilité dans cette scène où Ève se saisit de la pomme dans un mouvement libre et un sourire taquin. Les corps sont en parfaite harmonie dans ce jardin d’Eden : les tons bleus et verts du paysage se retrouvent par touches légères sur les carnations des personnages. Enfin et surtout, Suzanne ne représente aucun serpent tentateur. Pas de péché donc sur cette toile. Mais une initiation, d’un jeune homme par une femme mûre, aux plaisirs de la sexualité… et à la peinture. Suzanne aurait ainsi attiré André Utter chez elle en promettant à ce jeune électricien de faire de lui un peintre…

Vous voulez un dernier secret ? Avez-vous remarqué que les corps d’Adam et Ève étaient cernés de noir ? C’est un peu la marque de fabrique de Suzanne Valadon lorsqu’elle représente des corps.

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