La danse du Pan-Pan au Monico – Gino Severini

Difficile de distinguer la scène représentée ici dans ce kaléidoscope de couleurs et de formes !

C’est que Gino Severini, peintre italien installé à Paris depuis 1906, a voulu montrer dans son gigantesque tableau de 2,80 m par 4 m l’euphorie d’une soirée dans un bar du quartier de Pigalle, le Monico. Ce bar remplace La Nouvelle-Athènes où Degas avait peint son tableau « L’absinthe ».

Gino Severini appartient au mouvement futuriste, il a même signé le manifeste de Marinetti qui le définit. Les futuristes s’écartent des représentations traditionnelles pour peindre la modernité, le mouvement, la vitesse.

Pour saisir la confusion des corps dans le mouvement de la danse, le peintre s’inspire du cubisme : figures éclatées, formes géométriques souvent anguleuses. Mais les couleurs sont plus vives, plus franches, apportant beaucoup de gaieté à la scène. Elles ne sont pas posées en aplat mais sont composées de petits points à la manière du divisionnisme d’un Seurat. L’effet stroboscopique de l’éclatement des formes et la ligne oblique qui domine créént une impression de dynamisme.

Au premier plan on devine ainsi des tables aux nappes blanches, des verres et des bouteilles. A gauche un homme en costume est tourné face au spectateur. Est-ce le peintre lui-même ? Une femme blonde en robe verte nous tourne le dos et l’enlace.

En haut du tableau, la lumière se divise en épais rayons jaunes, presque des cônes. 

Au centre de la piste, des danseuses se déhanchent en robe moulante et talons hauts. Deux d’entre elles sont dans une position pour le moins scabreuse : l’une en robe verte se penche en avant tandis que celle de derrière en robe rouge se penche sur elle en l’attrapant par les épaules. Les femmes dominent sur la piste, dansent entre elles, suggérant une confusion des genres autant que des corps.

Derrière elles, des hommes en costume rouge sont peut-être des musiciens.

Mais sur quelle musique dansent les personnages ? 

Sans doute un ragtime, l’ancêtre du jazz dont un morceau célèbre est le « Mysterious rag » d’Irving Berlin. Le ragtime signifie à l’origine « temps déchiré en lambeaux » : les formes et couleurs morcelées rendent bien le rythme éclaté de ce genre musical.

Sur le ragtime, on dansait le pas de l’ours, que Severini met en scène dans un autre de ses (nombreux) tableaux sur le thème de la danse : « La danse de l’ours au Moulin Rouge ». Cette danse de couple apparue aux États-Unis vers 1910 est  jugée vulgaire et interdite parfois dans les lieux publics. Pourquoi ? On enserre fermement sa partenaire et on se déhanche avec elle en imitant l’ours qui se dandine. 

Le tableau connait un étrange destin : peint en 1909, il a été détruit pendant la Première Guerre mondiale et Gino Severini en réalise une seconde version en 1960.

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