La liseuse – Jean-Jacques Henner – 1880-1890

Motif assez courant en peinture, la femme qui lit est souvent une figure d’émancipation : elle échappe à son destin tant par l’évasion que procure un livre que par le savoir qu’il apporte. La lecture la libère de la tutelle des hommes.

Ce portrait, c’est celui de Juana Romani, un modèle d’origine italienne. Elle rêve de poser pour le peintre Jean-Jacques Henner, prix de Rome en 1858. Elle vient sonner de nombreuses fois à la porte de son atelier parisien avant d’y être enfin reçue.

Mais Juana préfère lire que poser. En pleine séance de pose, elle se plonge dans un livre au grand dam de l’artiste qui finit par tirer parti de la situation et la représente nue, absorbée dans sa lecture, la main appuyée sur son visage.. Son corps a la blancheur des pages du livre et son destin pourrait s’y écrire. Il se détache sur un fond sombre, une couverture aux tons bruns. La chevelure d’un roux flamboyant contraste avec sa peau laiteuse.

Les femmes des portraits de Henner sont souvent des rousses à la peau d’un blanc qui illumine la toile. Faut-il y voir les goûts du peintre concernant la gente féminine ? Pas du tout. Ce qu’apprécie Henner, c’est l’économie de couleurs. Il oppose la chaleur du roux au tons plus froids de son tableau et abuse du bitume de Judée pour créer 50 nuances de bruns.

Et loin de considérer les femmes comme de sensuels modèles, Henner crée, avec le peintre Carolus-Duran, un atelier de peinture réservé aux femmes : l’atelier des dames. Exclues des Beaux-Arts, notamment parce qu’on leur refuse le droit de peindre des nus, les femmes peuvent ici développer leur talent et Juana Romani elle-même quittera son rôle de modèle pour devenir peintre à son tour.