Moins connu en France que Hokusai, Kuniyoshi est un des maîtres de l’estampe japonaise à Edo, l’ancien nom de Tokyo. En ce milieu de XIXe siècle, les artistes réalisent désormais des estampes de brocard, polychromes, les nishiki-e.
Kuniyoshi appartient au mouvement de l’ukiyo-e, que l’on peut traduire par « images du monde flottant ». Outre les paysages, les peintres de l’ukiyo-e se plaisent à représenter le monde du divertissement : les acteurs de kabuki, les courtisanes…
Sur cette estampe figure, de profil et dans un plan poitrine, une geisha ou une courtisane de haut rang, la frontière entre les deux étant assez poreuse à cette époque. On la reconnaît à sa coiffure compliquée en forme de pelote à épingle et à son kimono. Remarquez d’ailleurs le soin apporté aux motifs du kimono. Il faut dire que le père de Kuniyoshi était teinturier et que l’artiste accorde une grande importance à la représentation des tissus. Elle tient une tasse qui rappelle que les geishas maîtrisent les arts et, parmi eux, celui de la cérémonie du thé.
Alors que cette femme devrait se distinguer par sa beauté, son visage, son cou et même sa main semblent marquer par des rides profondes qui les déforment. Le titre, « Même si elle paraît vieille, elle est jeune », dénonce le vieillissement prématurée de la belle. Est-ce une manière pour Kuniyoshi, volontiers ironique dans son art, de se moquer des courtisanes que la prostitution abîme rapidement ?
Mais regardez de plus près la peau de la femme… Les rides sont en réalité des corps nus qui s’entremêlent ! Les plaisirs de l’amour auraient-ils marqué la peau de notre courtisane, imprimant son corps à la manière d’une estampe que l’on grave ?
A moins que Kuniyoshi ait trouvé là un moyen astucieux et drôle de contourner la censure… En effet, le shogunat Tokugawa, soucieux de contrôler les divertissements dans les quartiers d’Edo qui leur sont dédiés, interdit alors de représenter les acteurs et les courtisanes avec réalisme. Kuniyoshi, grand amateur de chats (au point d’en avoir un dans son kimono pour se réchauffer !), représentera aussi des acteurs ou des courtisanes en leur donnant l’aspect d’un petit félin.
Ces corps enmêlés à peine dissimulés sous la peau sont aussi un moyen d’échapper à la censure des estampes obscènes pourtant recherchées du public. Ce sont également ces jeux de cache-cache qui plaisent aux amateurs d’estampes japonaises en France. Ainsi, on peut lire dans le journal des Goncourt, en date du 1er octobre 1863 :
« cela me réjouit, m’amuse, m’enchante l’oeil, le regard, cela en dehors de l’obscénité qui y est et qui semble ne pas y être et que je ne vois pas tant elle disparaît sous la fantaisie, la violence des lignes, l’imprévu de la conjonction ».
Au-delà du jeu de cache-cache se dissimule aussi ici l’idée que l’homme ne peut devenir bon s’il ne se forme grâce aux autres hommes.