La petite danseuse – Edgar Degas

Degas est un habitué de l’opéra de la rue Le Peletier. Il vient y peindre les jeunes danseuses en train de s’exercer. Il réalise même de petites sculptures de ces corps en mouvement.

Mais cette sculpture est bien différente. D’abord parce que le modèle est au repos. Bras dans le dos, tête levée, la jeune fille semble tendre son attention vers un adulte, peut-être son professeur qu’elle écoute. 

Surtout l’originalité de cette œuvre tient à son extrême réalisme : haute d’un mètre, la sculpture en cire reproduit la texture de la chair enfantine. Lorsqu’il la présente à l’exposition de 1881, Degas revêt même sa danseuse de véritables vêtements : tutu en tulle, corsage en soie, véritables chaussons, ruban qui attache des cheveux que l’artiste a commandés à un perruquier ! La petite danseuse se rapproche plus des statues de Madame Tussauds ou des reproductions des musées d’ethnologie que d’une oeuvre d’art. A tel point que Degas l’enferme dans une cage en verre pour signifier qu’il s’agit bien d’une oeuvre d’art. 

Mais cela ne suffit pas : un tel réalisme suscite le scandale. Un journaliste du « Temps » écrit  : « Pourquoi est-elle si laide ? Pourquoi son front, que ses cheveux couvrent à demi, est-il déjà, comme ses lèvres, marqué d’un caractère si profondément vicieux ? ». En effet, les spectateurs jugent l’œuvre à l’aune de la phrénologie, cette discipline alors à la mode qui consiste à déduire le caractère de la forme du crâne. Et puis, cette manière mutine de lever le menton !

Vicieuse, la petite danseuse ? A moins que ces messieurs n’y projettent leurs propres vices… A l’époque de Degas, les petits rats de l’opéra sont de toutes jeunes filles (notez que le titre de l’oeuvre précise l’âge de la danseuse) que des hommes prennent sous leur protection. Ils leur donnent de l’argent, paient leurs cours, en échange de faveurs sexuelles. 

Le modèle de la petite danseuse, c’est Marie van Goethem. Son père est tailleur, sa mère blanchisseuse. Le couple d’origine belge place ses trois filles à l’Opéra de Paris, la mère se serait même prostituée pour payer leurs cours. Finalement, la petite Marie est renvoyée. Trop souvent absente… Elle qui a posé plusieurs fois pour Degas a-t-elle ainsi perdu sa place ? Son destin donnera malheureusement raison aux mauvaises langues puisqu’elle se prostituera. Il ne fait pas rêver, le monde de l’Opéra : alors que les jeunes filles tentent d’y échapper à leur modeste, voire misérable, condition, les coulisses sont de terribles pièges qui se referment sur ces faibles proies.

Quant à Degas, suite au scandale, il cachera désormais sa petite danseuse dans le secret de son atelier…

(Photographie de la National Gallery of Art de Washington)

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