
Les coulures de la peinture comme des larmes sur la toile. Larmes de colère, larmes de révolte.
Le 12 février 1961, impasse Ronsin, munie d’un 22 long rifle emprunté à un ami forain, la jeune Niki réalise ses premiers tirs. Sur la toile sont disposés divers objets, des pâtes, du riz, des tomates et des poches de peinture colorées, le tout recouvert de plâtre.
« A vos marques ! Feu ! Rouge! Bleu ! Jaune ! » crie la jeune femme.
Les balles percent les poches de couleurs qui coulent sur la toile un temps immaculée. Fini le temps des jeux et de l’innocence !
Mais contre qui ou quoi Niki laisse-t-elle exploser sa violence ? Elle tire tous azimuts. Contre son père qui l’a violée alors qu’elle avait 11 ans. Contre les hommes. Contre la société patriarcale qui s’apprête à enfermer au foyer la jeune fille de bonne famille qu’elle est. Contre la religion qui a dicté son éducation. Contre la politique, la menace atomique et les guerres.
Un fusil comme un phallus, Niki de Saint Phalle renverse l’ordre établi et s’arroge le pouvoir violent qui est depuis trop longtemps l’apanage des hommes.
D’ailleurs, avec ses tirs, elle est la seule femme dans le groupe des Nouveaux Réalistes, ce mouvement qui s’empare du réel et le transforme en un objet poétique.
Pour les tableaux suivants, elle invite le public, les futurs acheteurs à tirer et participer à la création. La télévision est là et filme ces performances.
L’art comme catharsis, comme exutoire, individuel et collectif.
Et pour Niki, qui confiera n’être pas tombée malade pendant toute la période des tirs, cela fonctionne. Pourtant elle décide de cesser brutalement ces tirs, consciente de la dépendance qu’elle commence à éprouver pour cette pratique qui la met en transe.
Avec ses tirs, elle n’en est toutefois pas à sa première performance. Quelques temps avant, quittée par son amant, elle imagine une terrible vengeance. Elle dispose la chemise de son ancien amant sur un tableau de bois et une cible de fléchettes pour représenter sa tête. Et elle invite le public à tirer sur la cible…
Photographie de Philippe Migeat pour le centre Georges Pompidou.
Où voir l’oeuvre : Centre Georges Pompidou, Paris.