
Vous vous attendiez à observer les éléments d’un tableau et pourtant aujourd’hui ce sont eux qui vous regardent. Dix personnages vous font face, frontalement. Cadrés à la taille, ils occupent tout le tableau. La plupart vous regarde d’un oeil vide ou narquois. Sur leur visage, un rictus, plus qu’un sourire.
Pourtant, ce sont bien eux qui sont grotesques avec leurs masques aux couleurs criardes. Mais, comme dans le Carnaval qui joue sur l’inversion des rôles, c’est vous qui vous sentez observés, jugés, jusqu’au malaise…
Si les masques préservent l’anonymat, ils sont pour James Ensor un révélateur de la personnalité. D’ailleurs ici les masques semblent s’être fondus dans les visages et l’on ne saurait les retirer. Ils expriment la méchanceté et l’hypocrisie de la société bourgeoise dont est issu le peintre et qu’il exècre pourtant.
Le tableau qui date de 1890 appartient à « la période des masques » pendant laquelle le masque a été un motif récurrent chez Ensor. Mais d’où lui vient cette obsession ? Ensor a grandi à Ostende, une station balnéaire prisée par la haute société. Sa famille y tenait une boutique de coquillages, masques, chinoiseries et autres objets exotiques. Il était fasciné par cet endroit. Les masques rappellent aussi le Carnaval d’Ostende. Ils évoquent enfin le théâtre japonais auquel le peintre s’intéressait.
A droite, l’un des masques fait penser à un squelette, autre motif fréquent dans la peinture d’Ensor. Motif macabre? Oui mais autobiographique aussi. Lorsque le petit James Ensor jouait sur la plage d’Ostende, il lui arrivait de tomber sur des morceaux de squelettes humains, restes du terriblement meurtrier siège d’Ostende lors des guerres de religion.
Le tableau s’intitule « L’intrigue » mais il n’est guère aisé de comprendre celle qui se joue devant nous. Les personnages centraux nous donnent peut-être des indices. Une femme très bien vêtue de blanc et de vert, au chapeau, fleuri, tient un bouquet de fleurs à la main et donne le bras à un homme en manteau et haut-de-forme. S’agit-il d’un couple de mariés ? Ensor fait peut-être allusion au mariage de sa sœur avec le commerçant chinois Taen Hee Tseu qui vendait des objets au magasin familial. Un mariage qui, aux yeux du peintre, était une grotesque mascarade et qui se solda par un échec.
Mais regardez, à droite de l’homme au haut-de-forme se trouve une femme qui lui adresse un doigt accusateur. Elle porte un bébé qui fait penser à une poupée japonaise. L’accuse-t-elle d’être le père de l’enfant ? Même si les couleurs et les gestes sont outrés, ce tableau ressemble beaucoup dans sa composition à une œuvre de Rubens, « Le Christ et la femme adultère ». Serait-ce ici le marié qui serait adultère ?
Entre fiction et réalité, mensonge et vérité, les masques brouillent les pistes et invitent au questionnement…