
Attention, vous êtes observés !
Dans La Chambre des époux, l’intimité ne semble pas être de mise. Dix puttis, ces petits angelots replets, cinq femmes et même un paon, penchés sur une balustrade regardent d’un oeil amusé ce qu’il se passe dans la pièce.
Nous sommes dans la Camera picta, la chambre peinte, une pièce voûtée située dans le donjon nord-est du Castello San Giorgio dans le palais ducal de Mantoue.
Cette pièce ne reçut le nom de Chambre des époux qu’au XVIIe siècle. A l’époque où la famille des Gonzague demande à Mantegna de la peindre, c’était un lieu public qui servait de salle d’audience. Mais également un lieu privé, avec un lit de repos pour le Marquis de Mantoue. Surtout cette pièce abritait les archives secrètes, dissimulées dans un mur, derrière une teinture peinte.
Avec la technique du trompe-l’oeil, Mantegna a su jouer sur ce qu’on cache et ce qu’on dévoile. Sur les quatre murs, deux sont peints, les tentures qui les encadrent montrent que la scène se révèle aux yeux du public. Tandis que sur les deux autres murs des tentures en trompe-l’œil suggèrent que l’intimité de la famille reste préservée et… à découvrir.
Sur le plafond voûté, Mantegna a reproduit de fausses décorations en stuc et au centre a peint cet oculus en trompe-l’œil qui ouvre la pièce sur le ciel, à la manière de celui bien réel du Panthéon romain.
Admirez la maîtrise de la perspective et de la contre-plongée dans la manière dont Mantegna raccourcit la balustrade et les corps des puttis, joue avec les ombres.
Les puttis, espiègles, passent leur tête dans les ouvertures de la balustrade ou sont en équilibre précaire de l’autre côté, prêts à nous tomber dessus. Ils nous montrent leur intimité ou leur derrière rebondi. Ils semblent se moquer des signes du pouvoir qui se joue dans cette pièce : l’un porte une couronne de laurier, un autre un bâton comme un sceptre et un dernier une pomme en guise de globe impérial.
Les personnages, penchés au-dessus de la balustrade, sont touts des femmes. De là à dire que la curiosité est un défaut exclusivement féminin… Trois n’ont pas de coiffe, ce qui signifie que ce sont des jeunes filles. L’une à côté de sa servante mauresque porte une coiffe : elle est donc mariée et sa coiffe rappelle celle de Barbara de Brandebourg, l’épouse de Ludovico Gonzague, le commanditaire, représentée sur l’un des murs de la chambre.
Si la pièce prit le nom de Chambre des époux, c’est peut-être que par la suite on y célébra plusieurs mariages. Sous le regard bienveillant d’une épouse, d’angelots comme autant de cupidons, de jeunes filles impatientes et du paon, animal associé à Junon, la déesse du mariage. Et sous un ciel radieux traversé de nuages immaculés…
Où voir l’œuvre : Château Saint-Georges, Palas ducal, Mantoue, Italie.