Lucrèce – Paul Véronèse

En 1580, le peintre Paul Caliari, originaire de Vérone, ce qui explique le nom qu’on lui donne, peint un épisode de l’ Histoire romaine de Tite-Live. 

Lucrèce est une épouse romaine. Violée par Sextus Tarquin, fils du roi Tarquin le Superbe, elle se suicide pour laver l’humiliation qui pèse sur elle et sa famille. Ses proches décident alors de la venger et poussent le peuple romain à se soulever contre le roi. Cette légende explique comment Rome est passée de la royauté à la République.

Tableau symbolique pour Véronèse qui travaille alors à Venise où il est le « peintre de la République » et exalte ce régime vénitien à la stabilité remarquable en répondant à des commandes, pour le palais des Doges notamment.

Lucrèce est représentée ici au moment où elle se donne la mort. Le regard baissé, le visage calme qui dit la douleur contenue et la détermination, elle tient le couteau contre sa poitrine. Le sang rougit déjà sa chemise blanche et sa robe verte, seule touche de rouge, avec la pierre qui orne son front, dans ce tableau dominé par le vert. 

Véronèse est connu pour ses tableaux colorés et notamment pour ses verts. Ne parle-t-on pas d’ailleurs d’un vert Véronèse ? Mais quel est-il ce vert Véronèse dans ce tableau aux multiples nuances de vert : vert tirant sur le jaune du haut de la robe, vert chatoyant du bas de la robe, vert plus pâle tirant sur le bleu du tissu à droite du tableau, vert plus profond de la tenture à fleurs ?

Eh bien, on l’ignore ! Le terme « vert Véronèse » est une couleur inventée bien après la mort du peintre, au XVIIIe siècle, et nommée ainsi au XIXe siècle : à base d’arséniate de cuivre, un dangereux poison, il vire au noir en présence de soufre. Aujourd’hui le vert Véronèse est composé d’un pigment de vert de synthèse : la phtalocyanine et l’oxyde de zinc.

Mais comment Véronèse fabriquait-il ses verts au XVIe siècle ? Il est peu probable que ce soit un mélange de bleu et de jaune. Les pigments végétaux verts, quant à eux, quoique nombreux dans la nature, sont instables et rarement utilisés. On leur préférait des pigments minéraux. Et justement, près de Vérone, se trouvait une terre argileuse verte, souvent utilisée en peinture. Peut-être Véronèse y ajoutait-il de la jaspe ou de la malachite réduites en poudre pour rendre ses verts plus lumineux. 

Dans ce tableau, le vert symbolise tout autant le danger et la mort (les peintres utilisent souvent le vert pour la couleur cadavérique) que la naissance, celle de la République porteuse d’espoir. C’est alors le vert de la renaissance de la nature au printemps, que la littérature médiévale nomme si joliment « reverdie ».

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