Louis XIV et Molière – Jean-Léon Gérôme

C’est en 1862 qu’a été peint ce tableau. A cette époque, pas d’IA ni de logiciel de retouche de photos et pourtant ce tableau est un fake !

Gérôme y représente Molière déjeunant à la table du roi Louis XIV à Versailles. Remarquez l’attitude des courtisans, à gauche, derrière le roi. Ils ne semblent guère approuver cet honneur : regards étonnés voire méprisants, courbettes serviles. En bleu, l’archevêque de Paris exprime un franc courroux, le poing serré. Son regard sévère traduit la pensée de l’Eglise à l’égard des comédiens et de l’auteur de Don Juan et surtout de Tartuffe qui osa se moquer des dévots. 

Molière, assis à droite, dans la sobriété d’un costume sombre, est du côté des serviteurs, non des courtisans. Pour Louis XIV, l’art est au service de la puissance royale et permet de faire rayonner la France à l’étranger. 

C’est avec une grande précision historique que Gérôme représente la chambre royale. Certes, le lit est un peu anachronique, c’est celui que l’on peut voir à Versailles depuis 1835. Surtout, les tableaux qui ornent les murs étaient bien ceux qui décoraient la chambre du roi et Gérôme s’est sans doute inspiré des représentations du XVIIe siècle de Marot.

Pourtant ce tableau fait mentir l’Histoire. Certes, Molière était le protégé du roi mais cette scène ne peut avoir eu lieu. En effet, elle est contraire au protocole alors en vigueur : le roi mange seul à table et seuls les princes de sang et les membres de la famille royale pouvaient siéger à ses côtes.

Mais alors d’où vient ce mythe ? D’une rumeur lancée par Mme Campant dans les mémoires qu’elle publie en 1823. Elle y raconte l’anecdote suivante : Molière, humilié par des domestiques qui auraient refusé de lui servir à manger en cuisine s’en serait plaint au roi qui l’aurait alors invité à sa table et partagé avec lui une cuisse de poulet. L’historien Michelet lui-même reprendra l’anecdote dans son « Histoire de France » publiée en 1860 reprendra cet épisode.

Au XIXe siècle, on connaît au moins trois autres tableaux à avoir traité le même sujet : un de Garneray, un de Ingres, que Gérôme a pris pour modèle, et un de Vetter. 

Pourquoi une telle obsession ? Au XIXe siècle, les artistes ont tout autant besoin du soutien des Grands qu’autrefois et les Princes ont besoin des artistes académiques pour promouvoir leur pouvoir. D’origine modeste, fils d’un orfèvre de Vesoul, Gérôme bénéficie du soutien de Napoléon III. D’ailleurs en 1863, il sera nommé professeur à l’Ecole des Beaux-Arts.

Aujourd’hui encore les manuels scolaires utilisent ces tableaux, ces fakes, pour illustrer le lien privilégié entre Molière et son mécène.

Ingres avait déjà produit un fake en 1818 : il représentait Léonard de Vinci mourant dans les bras de François Ier au clos Lucé. Or, on sait que le roi ne se trouvait pas au clos Lucé à la mort du peintre. Encore une fois Ingres exalte le lien privilégié entre l’artiste et son mécène.

Où voir l’œuvre : Bibliothèque de la ville de Malden Massachusetts.

Laisser un commentaire