Sylvia Roustant <syroustant@gmail.com> | 10:50 (il y a 3 minutes) | ||
À moi |
Qui est cette belle rousse au teint diaphane, au visage comme crispé par la colère ?
C’est la fée Morgane, la fée de la légende arthurienne. Demi-soeur du roi Arthur, elle devient de plus en plus maléfique au fil des réécritures de la légende. Celle qui a appris la magie auprès de Merlin semble prendre un malin plaisir à torturer les hommes : elle retient prisonniers les hommes infidèles dans le Val sans retour au coeur de la forêt de Brocéliande, elle révèle à Arthur les images qui montrent les amours de son épouse et de Lancelot…
Ici, elle est en train d’empoisonner un vêtement qu’elle vient de confectionner pour le roi Arthur avec un métier à tisser que l’on aperçoit à droite du tableau. Elle promène sur le vêtement un objet de style oriental qui semble destiné à enflammer le tissu. De petites flammes apparaissent sur le vêtement qui devra prendre feu dès qu’il sera porté par Arthur et brûler vif ce dernier. Le roi n’échappe à ce funeste sort qu’en faisant essayer l’habit par l’un de ses proches.
Observez la main droite de Morgane, sa bouche ouverte : elle est en train de proférer de terribles incantations. Et ce n’est pas un hasard si elle est de profil, tournée vers la gauche. Depuis des siècles, la gauche, c’est la senestre, le côté du malheur, le mot qui d’ailleurs donnera l’adjectif « sinistre ».
Alors que la légende arthurienne tombe quelque peu dans l’oubli après le Moyen-Âge, elle ressurgit en Angleterre au XIXe siècle. Les peintres préraphaélites, comme Sandys, s’inspirent de la version de Thomas Mallory, « La morte d’Arthur », qui date de 1485, dont est tiré cet épisode.
Avez-vous remarqué la chevelure rousse en bataille de Morgane ? Si le roux est traditionnellement associé aux sorcières, il est aussi, chez les préraphaélites, l’apanage des femmes fatales, une arme de séduction massive ! Ce qui est plus étonnant, c’est que le canon de beauté de la femme au teint blafard est hérité des… tuberculeuses.
Le vêtement porté par Morgane est également riche de symbole. Sandys lui ajoute une peau léopard qui suggère la bestialité de la fée à la sexualité débordante et débridée. Le jaune et le vert de sa robe sont deux couleurs associées à la trahison : Judas est représenté vêtu de jaune et le vert est une couleur instable, qui bouge dans le temps, c’est pourquoi elle peut aussi symboliser la trahison. A noter qu’au XIXe siècle, le vert est une couleur dangereuse sur les tissus notamment. La teinture, composée d’arsenic, se révèle mortelle à l’usage. Morgane en vert, c’est un peu l’empoisonneuse empoisonnée…
Et, comble de l’ironie, savez-vous qui servit de modèle à la fatale Morgane ? Il s’agit de Keomi, la maîtresse gitane du peintre. A travers le désir exacerbé de la femme fatale, c’est son propre désir que Sandys représente pour mieux le mettre à distance.
Où voir l’oeuvre : Musée et galerie d’art de Birmingham
J’adore vos analyses des tableaux ainsi que vos choix.
Merci beaucoup !